Réparer les vivants, Maylis de Kerangal

reparerLe cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps.

Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour.

5 réflexions sur « Réparer les vivants, Maylis de Kerangal »

  1. Sujet très difficile et superbement maîtrisé.
    Décrit avec justesse et profondeur les sentiments, les actes,…enfin absolument tout ce qui se passe entre le moment où le jeune homme de 20 ans perd la vie, et le moment où une femme de 50 ans reçoit son coeur. Magistral.
    Seul bémol : le style d’écriture trop construit parfois, trop de mots….m’a freinée au début, mais très vite j’ai dévoré.

    1. c’est vrai, il faudrait parfois ouvrir le dictionnaire pour capter les mots utilisés …mais quel livre terrible. !
      les actes, les gestes, les respirations même sont décrits avec tellement de justesse
      l’incommensurable douleur des parents m’a empêché de poursuivre la lecture, brouillée par les larmes
      heureusement pendant quelques pages l’auteur allège le récit par des moments de répits en évoquant le quotidien, la vie de chacun, les angoisses, les soucis
      j’ai dévoré ce livre qui me laisse une admiration sans borne pour les médecins chirurgiens de transplantations, en particulier pour ceux aussi qui acceptent le prélèvement des organes d’un être aimé.

  2. Je suis comme Isabelle: j’ai eu du mal au début avec le style très foisonnant. Le déclic s’est fait au bout d’une vingtaine de pages, et j’ai été happée, comme Simon par sa vague. Happée par l’extrême humanité de tous ces personnages, de leur douleur, du processus de prélèvement des organes, dotés d’une vie propre et qui « s’envolent dans l’espace », mais où jamais rien n’est exclu. levant le voile sur ce que l’on appelle pudiquement « le don d’organes ». C’est réconfortant et terrifiant à la fois, laissant songeur – et un brin blasé – sur la sacralité du corps… Où la toilette mortuaire prend tout son sens. Une lecture d’une extrême poésie et d’une extrême violence (3e fois que j’emplois le terme); oui, vraiment, une lecture de l’extrême, qui ne laisse pas indemne. Eblouissant!

    « Le corps de Simon Limbres est désormais une dépouille. Ce que la vie laisse derrière elle quand elle s’est retirée, ce que la mort dépose sur le champ de bataille. C’est un corps outragé. Châssis, carcasse, peau. Celle du garçon prend lentement la couleur de l’ivoire, elle semble se durcir, nimbée de cette lueur crue qui tombe du scialytique, elle semble devenir une carapace sèche, un plastron, une armure, et les cicatrices en travers de l’abdomen rappellent un coup mortel – la lance au flanc du Christ, le coup d’épée du guerrier, la lame du chevalier. Alors est-ce ce geste de coudre qui a reconduit le chant de l’aède, celui du rhapsode de la Grèce ancienne, est-ce la figure de Simon, sa beauté de jeune homme issu de la vague marine, ses cheveux pleins de sel encore et bouclés comme ceux des compagnons d’Ulysse qui le troublent, est-ce sa cicatrice en croix, mais Thomas commence à chanter. Un chant ténu, à peine audible par celui ou celle qui se trouverait avec lui dans la pièce, mais un chant qui se synchronise aux actes qui composent la toilette mortuaire, un chant qui accompagne et décrit, un chant qui dépose. »

  3. Lecture absorbante s’il en est ! Ecrivaine fameusement documentée tant sur les sensations fortes liées à un sport extrême que sur les spécificités médicales de la transplantation des organes. J’ai beaucoup aimé et quelle belle écriture !

  4. Impossible de ne pas être bouleversée par cette histoire que l’auteur nous fait vivre au plus près des émotions des personnages. Ce travail émotionnel se traduit par une écriture foisonnante et nerveuse, difficile au premier abord, surtout à cause d’une ponctuation inhabituelle où dialogues et pensées se mélangent en de très longues phrases. Mais rien n’est innocent car comme Thomas qui s’apprête à parler aux parents de Simon, l’auteure est « consciente que la ponctuation est l’anatomie du langage, la structure du sens ».
    J’aime beaucoup l’extrait choisi par Caroline. Moi, j’ai décidé de partager celui-là :
    « (…) Marthe songe qu’à l’heure d’apparier les organes vivants de Simon Limbres, à l’heure de les répartir dans des corps malades, des milliers de poumons se gonflent ensemble là-bas, des milliers de foies se gorgent de bière, des milliers de reins filtrent à l’unisson les substances du corps, des milliers de coeur pompent dans l’atmosphère, et soudain elle est frappée de la fragmentation du monde, de la discontinuité absolue du réel sur ce périmètre, l’humanité pulvérisée en une divergence infinie des trajectoires (…) »

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